Staline et Eisenstein: un débat ouvert sur le  cinéma, l’histoire et les batailles  politiques

« Vous les artistes, individualistes forcenés, allez vers les masses, allez dans les usines. Là vous recevrez l’impulsion pour votre travail créateur, là vous trouverez ce qui est aujourd’hui nécessaire pour le prolétariat. « Sur le chemin de l’avenir, Lenine , Isvestia, 03/05/1929

 

«C’est peut etre trop demander que quelqu’un soit capable d’écrire quelque chose d’un minimum raisonnable sur l’URSS sans tomber dans  une imbécillité topique. Cela est  le cas quand on parle du grand cinéaste soviétique Sergei Eisenstein, et de la « censure »  du film « Ivan le terrible   », pour une raison évidente: Staline est assimilé à Ivan dont le surnom veut tout  dire « Terrible ».

Aucun de ceux qui écrivent ces bêtises n’a la moindre idée de qui était Ivan le Terrible, bien qu’ils imaginent que ce serait une version russe à mi-chemin entre Caligula et Robespierre.

C’est comme si on leur demandait s’ils savaient qui était Juana la Loca ou s’ils pensaient vraiment qu’elle était folle. Cependant, ils pensent  qu’Ivan le Terrible était vraiment terrible, que Staline était offensé d’être comparé à lui et c’est précisément ce que le sibyllin d’Eisenstein avait l’intention de faire …
En URSS, les débats sur l’art et la littérature ont toujours été particulièrement amers car ils ne sont rien d’autre que les mêmes débats politiques métamorphosés. Ces débats s’intensifièrent après la Seconde Guerre mondiale et Staline y joua un rôle de premier plan, soigneusement réduit au silence par Khrouchtchev et ses partisans à partir de 1953.
Une réflexion de ce débat est écrite dans  l’article de Zdanov sur l’art et la littérature, où Staline a participé avec  Molotov, Eisenstein et Cherkasov, qui est- l’acteur qui joue Ivan le Terrible dans le film d’Eisenstein.
Il est difficile de résumer les termes du débat, mais il faut commencer par dire que par rapport à Ivan le Terrible, Staline préférait être comparé à Ivan Le Terrible plutôt qu’à à Pierre le Grand et Catherine la Grande qui suivaient les canons occidentaux, alors qu’Ivan était un «oriental» et cela convenait à Staline. Il  n’avait pas ce genre de complexes.
Dans le cadre de ce débat, les participants se sont mis d’accord sur des choses qu’aujourd’hui on mettrait à débattre sur la table. La principale est que pour un  révolutionnaire  l’art n’est pas une fin en soi ( « ars gratia artis », la devise de la Metro Goldwyn Mayer), mais est au service des masses et non des réalisateurs, des producteurs, des acteurs ou du marché.
La seconde est que cela ne justifie pas la médiocrité , mais bien le contraire.

Le débat de 1947 visait à élever la qualité artistique du cinéma soviétique, ainsi que son contenu politique, idéologique et historique. Le PCUS accuse Eisenstein, dans la deuxième partie du film d’Ivan le Terrible de montrer son ignorance de l’histoire , chose qui, dans un pays capitaliste n’a pas d’importance, mais en URSS cela était fondamentale.

Ou bien les communistes devraient-ils admettre qu’un film peu transmettre toute sorte de fausseté du passé sous prétexte que c’est de la fiction?

Eisenstein ne montrait pas l’armée d’Ivan IV, ou Ivan Grozny, comme il l’appelait au PCUS, comme une armée progressiste ( « opritchnina »), mais comme une bande de voyous et même Ivan comme une sorte de Hamlet, un homme hésitant, ce qui était faux du point de vue historique.
Après avoir critiqué le film, le PCUS continue de critiquer le ministère de la Cinématographie et son ministre Bolchakov, qui «dépense beaucoup d’argent pour le cinéma mais ne fait rien pour l’améliorer». L’attaque se poursuit sur le copinage  si typique de l’art et des artistes, meme chez  les soviétiques:
«Les travailleurs de l’art doivent comprendre que ceux qui adoptent une attitude irresponsable et superficielle envers leur travail risquent d’être hors de l’art soviétique progressiste, parce que les exigences culturelles et les exigences du public soviétique se sont développées. Le gouvernement continuera à cultiver le bon goût parmi les gens et stimulera la demande d’œuvres d’art. »



Que le PCUS ne soit pas d’accord avec le film et le critique, cela ne veut pas dire qu’il y avait de la censure,
parce qu’il a également critiqué d’autres films de Eisenstein, y compris des films plus connus comme « la grève », « Cuirassé Potemkine », « Octobre » et « La ligne générale », qui sont tous entièrement documenté parmi les accords approuvés. Les procès-verbaux des interviews des dirigeants du PCUS (Staline, Molotov et Zdanov) avec les cinéastes sont également conservés.
Dans l’un de ces procès- verbaux, Staline s’excuse auprès d’eux, car ils lui ont écrit et ils n’avait pas pu leur répondre. Le début de la réunion montre que ce n’était pas de la censure, mais une critique et que la décision sur le film était des cinéastes eux-mêmes: « Qu’allez  vous faire avec le film ? »  demanda Staline . Eisenstein répond qu’ils ont décidé de diviser la deuxième partie en deux autres. Mais avez-vous étudié l’histoire? Insiste Staline. «Plus ou moins», répond le cinéaste.
C’était la pire réponse  que le cinéaste pouvait donner. Staline se rend compte qu’Eisenstein est comme tant d’autres: il n’a aucune notion  de ce qu’il a en main. Il n’a pas pris la peine de se documenter sur un événement aussi fondamental de l’histoire russe que Staline va détailler, et insister sur l’importance de «l’oprichnina» d’Ivan le Terrible, qui marque la fin des armées féodales et l’émergence d’une armée régulière, moderne et avancée.
Quand Staline dit à Eisenstein qu’il a representé l’armée comme s’il s’agissait du Ku Klux Klan américain, le cinéaste lui raconte une blague: « le Ku Klux Klan avait un capuchon blanc et nous le mettons en noir ».
Les minutes ne laissent aucun doute sur le contenu du débat, ainsi que sur le ton, parfois risible. Molotov reproche à Eisenstein d’avoir fait un portrait psychologique d’Ivan le Terrible. Staline ajoute qu’Ivan était un tsar «extrêmement cruel» mais ils auraient dû en expliquer les raisons.
Comme tous les documents originaux du PCUS, les minutes ne sont pas dépensées vainement et le lecteur va de surprise en surprise, comme lorsque Staline rappelle à Eisenstein qu’à cette époque le christianisme a joué un rôle progressiste.
L’acteur Cherkasov admet que la critique les a  aidés et qu’après avoir reçu un autre réalisateur, Pudovkine, il avait fait un bon film sur l’amiral Najimov. «Nous sommes convaincus que nous ne ferons pas pire», ajoute l’acteur, qui affirme travailler sur la figure d’Ivan le Terrible à la fois au cinéma et au théâtre. «Je suis amoureux de ce personnage et je pense que notre altération des scènes sera correcte et vraie», conclut-il.
À un moment donné, Eisenstein demande un vote de confiance: la première partie s’est bien passée et cela nous dit que nous pouvons bien faire la seconde, et il pose une question très importante: «Y a-t-il d’autres instructions sur le film? Quelque chose de très inhabituelle pour ce à quoi nous sommes habitués, bien que beaucoup plus surprenante sera la réponse de Staline: «Je ne vous donne pas d’instructions mais j’exprime l’opinion d’un spectateur».
La deuxième partie du film n’a pas été censurée. Elle a été laissé inachevée parce qu’Eisenstein n’a pas pu le finir puisqu’il est mort quelques mois après cette réunion.»

Source : Diario Octubre 01, 29, 2018 ( Traduit par Alba Malta north Africa)

https://diario-octubre.com/2018/01/29/stalin-y-eisenstein-un-debate-abierto-sobre-cine-historia-y-batallas-politicas/

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– EL cine musical sovietico en la era de Stalin

https://www.45-rpm.net/sitio-antiguo/palante/cinemusical.htm

Pour une nouvelle hegemonie culturelle ( Gastaud Prcf)

https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/pour-une-nouvelle-hegemonie-culturelle-progressiste-par-georges-gastaud/

EL cine p 259 , Capitulo 11, Stalin el Grande , de Anselmo Santos

Trenes y barcos de agitacion ( 1918-1921)

http://www.cinesovietico.com/1917-1920/trenes-y-barcos-de-agitacion-1918-1921/