Note : Excellente réponse du professeur et militant Franklin Nyamsi au magazine Français «pseudo gauchiste» Marianne, face aux commentaires A- Historique de cette presse officielle.

Lettre à Marianne,

Dans votre édition du 20 mai 2022, sous la plume de l’un de vos journalistes, Nicolas Quenel, il vous a plu de me présenter parmi les influenceurs « anti-France » dans les réseaux sociaux et autres médias suivis par les opinions africaines.

Rien de plus faux, car je n’ai rien contre la France, mais tout contre la Françafrique. Je voudrais donc ici, apporter des observations critiques aux confusions  que votre article, qui par moments se réduit  à de la pure propagande contre l’Afrique des libertés, semble vouloir expressément entretenir à propos de mon engagement citoyen, intellectuel et politique depuis plusieurs décennies.

En effet, votre article me reconnaît un discours lisse, une élégance philosophique, qui doivent être utilement mobilisés dans la lettre que voici, afin de vous prémunir de deux confusions intellectuelles fondamentales par l’outil adéquat de la distinction conceptuelle. Le diable étant toujours dans les détails, je voudrais vous montrer que le flou de votre propos me concernant est une tanière de loups dont vous êtes invités à sortir si vous voulez vous préserver de l’accusation fondée de subjectivisme journalistique.

Première Confusion fondamentale : anti-France et anti-Françafrique

Mesdames et Messieurs ,

La France n’est pas la Françafrique. La France est un pays, une civilisation, une communauté historique riche de sa diversité intérieure, une République fondée après la dernière guerre mondiale de 1939-1945 sur un pacte de solidarité et de valeurs de vie commune, qui vont de la laïcité à la démocratie, sans oublier la défense de l’Etat de droit et des couches les plus défavorisées de sa/la société. Toute la symbolique fondamentale de la France est exprimée dans sa loi fondamentale, la Constitution de 1958 toujours en vigueur en ce mois de mai 2022.

Combattre la France, ce serait nier au Peuple français, le droit à l’existence, le droit à sa propre souveraineté, à sa propre défense, à sa propre monnaie, à sa propre politique intérieure et étrangère. Combattre la France, ce serait par conséquent en vouloir à mort à tout ce qui est français. Voyez-vous l’absurdité et l’injustice indiscutables d’un tel projet ? Je n’en ai jamais rêvé et c’et pour cela qu’en 2002, j’ai sollicité et obtenu la naturalisation française, puis en 2003 ai été reçu au concours de l’Agrégation française de philosophie, commençant ainsi une carrière de professeur de philosophie qui se poursuit depuis près de 20 ans en France, après 5 années d’études et d’enseignement en Côte d’Ivoire et 3 années similaires d’enseignement dans mon pays natal, le Cameroun.

Issu de l’école francophone et ayant parachevé ma formation dans l’Université française par une thèse de doctorat à l’Université Charles de Gaulle Lille 3, époux de française depuis 1999, père d’une famille de quatre enfants français dont trois nés sur le sol de France, je ne peux pas être ennemi de la France. Citoyen adoptif de ce pays, j’ai toujours respecté ce qu’il a de juste et de vrai, en toutes circonstances.  

Par contre, j’ai toujours combattu et je combattrai toujours La Françafrique. Et c’est ce que vous devez absolument comprendre et méditer. Que désigne cette notion de Françafrique ? Une réalité dont toutes les Françaises et tous les Français doivent absolument se pénétrer et doivent résolument combattre s’ils veulent cesser de subir les contrecoups des injustices persistantes de la politique étrangère de la France en Afrique. La Françafrique, c’est l’œuvre non pas de toute la France, mais d’une certaine catégorie de Français et d’une certaine catégorie d’Africains, tous complices dans le cadre d’un élitisme transméditerranéen et transatlantique basé sur l’exploitation abusive des richesses naturelles du continent africain, au détriment des peuples africains.

Il s’agit d’un système mafieux mis en place à l’issue de l’ère coloniale, par le général De Gaulle et notamment son conseiller Jacques Foccart, qui aura consisté depuis lors à reconnaître aux anciennes colonies françaises des indépendances sur le papier tout en les maintenant concrètement sous la dépendance militaire, économique, culturelle, politique et géopolitique de la France.

Organisation de domination militaire, la Françafrique se crée un pseudo-cadre juridique à travers des accords de coopération et de défense léonins signés avec des élites africaines imposées aux peuples par la puissance française, dès les années 60. Il s’en suit jusqu’à ce jour la persistance de la présence militaire française sur le continent africain. Près de 12000 hommes en armes, principalement cantonnés dans les bases des Forces Françaises de Libreville, Dakar, Djibouti et Abidjan, dans un véritable quadrillage coercitif, qui permettra régulièrement à l’armée française d’imposer ou défendre des régimes à sa solde à la tête du continent.

Les interventions militaires françaises arbitraires sur le continent, depuis les guerres d’indépendance du Cameroun ou de l’Algérie, jusqu’aux Opérations du Katanga, de Côte d’Ivoire, du Tchad, de Centrafrique ou encore de Libye ne vous ont sans doute échappé ni par leurs crimes, ni par les mensonges et le déni qui les ont systématiquement couvertes.

Organisation de domination économique, la Françafrique a pour instrument de domination par excellence l’ancien franc des colonies françaises d’Afrique (franc CFA), encore géré pour 14 pays africains (BCEAO-BEAC) par la Banque de France. Cette étrange monnaie française, non reconnue dans les commerces de France, mais produite et pilotée depuis la Banque de France à partir d’un compte d’opérations géré selon ses intérêts, étrangle le système économique d’Afrique francophone depuis lors. Nulle part, on n’aura observé en 60 ans, un développement durable, une industrialisation acceptable, une modernisation réelle des infrastructures sanitaires, éducatives et sociales, encore moins un financement de la haute recherche scientifique ou de l’entrepreneuriat national africain par de véritables crédits à l’économie.

Bien au contraire, chasse gardée des multinationales françaises (Bolloré, Bouygues, Total Energies, Areva, et consorts), l’Afrique francophone est un espace de répression inégalé de la créativité économique des africains. Comme en témoigne la hargne de la Banque de France en dernière date contre la création de la cryptomonnaie officielle centrafricaine votée le 22 avril 2022 par le parlement souverain de la République Centrafricaine.

Organisation de domination culturelle, la Françafrique contrôle la circulation des idées et l’éducation des consciences dans l’espace francophone à partir du contrôle français exclusif des institutions connexes de la Francophonie, depuis la conférence des ministres d’éducation de la francophonie, jusqu’à l’OIF, l’APF et j’en passe. La promotion de la langue française s’avère le cache-sexe de la police des idées, car le contrôle de la langue est le pendant de celui de ses usages, fait rare dans l’histoire contemporaine. Au fond, la francophonie s’est construite sur le fond de la répression systématique de l’idée africanophone, c’est-à-dire de la mise en place d’une ou plusieurs langues africaines continentales, supposées être les vectrices de la science, de la politique, de l’économie et des religions africaines.

Enfin, organisation de domination politique et géopolitique, la Françafrique est axée sur le contrôle des affaires africaines francophones à l’ONU, où la France détient le statut de pen holder sur sa supposée zone d’influence encore appelée pré-carré français. Si toutes les résolutions de l’ONU concernant l’Afrique francophone passent par les quatre volontés de l’élite politique au pouvoir en France, cela prouve à suffisance que la France politique depuis De Gaulle n’a jamais accepté l’indépendance réelle de ses anciennes colonies et de ses anciens territoires sous tutelle en Afrique.

D’où cette confidence faite à la presse internationale par le ministre russe des affaires étrangères Serguéi Lavrov : « Mon cher collègue Jean-Yves Le Drian (ministre français des Affaires étrangères), ainsi que Josep Borrell (haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères) , en septembre 2021, m’ont dit directement que la Russie n’avait rien à faire en Afrique, ni par des moyens étatiques ni par des moyens privés, parce que l’Afrique est une zone (d’intérêt) de l’UE et de la France”, a ajouté le politicien russe aux questions du présentateur italien sur la présence russe en Afrique. »

C’est cette quadruple et injuste domination militaire, culturelle, politique et économique de l’élite politique de la cinquième république, en complicité avec des dictateurs africains imposés aux Africains par la même puissance française, que je combats, et non la France comme pays, peuple, civilisation ou humanité singulière. Car le peuple français n’est pas unanime derrière son élite politique néocoloniale. Bien des citoyennes et citoyens de France, de toutes origines et de toutes les couleurs, dénoncèrent  tels un François Xavier Verschave, un Mongo Beti,  un Jean-Paul Sartre ou une Odile Biyidi-Tobner, le néocolonialisme français. Les régimes despotiques de Biya au Cameroun, de Sassou au Congo, de Ouattara en côte d’Ivoire, des Déby au Tchad, des Gnassingbé au Togo, des Guelléh à Djibouti, d’IBK au Mali, ou des Bongo au Gabon, entre tant d’autres pseudo-démocraties, n’eussent jamais été possibles sans cette domination néocoloniale française.  

Deuxième Confusion Fondamentale : être contre la Françafrique et être un agent pro-Russie ou pro-Chine

Mesdames et Messieurs de Marianne,

Le second tropisme de votre ligne éditoriale concernant mon combat citoyen, c’est d’assimiler implicitement ou explicitement, tous ceux qui s’opposent à la politique néocolonialiste africaine de la France à des agents de propagande de la Russie et/ou de la Chine. Or, critiquer de la France, ce n’est pas être de facto un agent russe ou un agent chinois.

Vous établissez cette équivalence en ciblant notamment Kémi Seba et Nathalie Yamb, sans jamais donner les preuves tangibles de vos accusations contre ces personnalités impliquées dans la lutte contre la Françafrique. Or, en me citant dans le même article, quoique vous souligniez la spécificité de mon engagement et reconnaissiez ne posséder aucun soupçon de preuve d’un financement occulte que je recevrais de Moscou ou de Pékin, vous amenez l’opinion à assimiler mon combat contre la Françafrique avec un alignement voire une complicité avec le régime du Président Vladimir Poutine. Je récuse ce procédé ayant implicitement pour but de me livrer à la vindicte populaire française en ternissant la probité de mon combat pour l’émancipation réelle de l’Afrique dans le cadre d’une double décolonisation franco-africaine qui s’impose.

Objectivement pourtant, le passif négrier, colonialiste, néocolonialiste de la France en Afrique n’a pas d’équivalent dans la relation russo-africaine. Quelles que soient aujourd’hui les exactions ou intentions hégémoniques que l’on attribuerait à la Russie ou au groupe paramilitaire russe Wagner en Afrique, elles sont absolument loin d’être aussi nocives que la participation de la puissance politique française à la Traite négrière (sans repentance ni réparations), aux massacres et crimes de guerre coloniaux (sans repentance ni réparation), aux déstabilisations et guerres civiles néocoloniales des 20ème et 21ème siècles africains ( telle la destruction sans repentance ni réparation de la Libye en 2011 par la France sous Sarkozy avec la coalition de l’OTAN).

Le passif néocolonialiste non repentant et non réparé de la France en Afrique est suffisamment lourd pour nourrir sur des bases concrètes et réelles, ce qu’on nomme abusivement le sentiment anti-français en Afrique. Nul besoin de préférer la Russie ou la Chine pour dénoncer les abominations commises par la France et le déni de réalité et de responsabilité de l’élite politique française qui persiste dans le cynisme, l’hypocrisie et la fuite en avant vers l’implosion de la relation franco-africaine qui a commencé.

Il s’ensuit donc que ce n’est ni la Russie de Vladimir Poutine, ni la Chine de Xi Jinping qui sont à la source de la montée en puissance des revendications africaines pour la vraie indépendance du continent. C’est davantage que ces alliances géopolitiques certes de plus en plus opérationnelles, la prise de conscience forte, par les jeunes populations du continent, éveillées entre autres par notre travail d’éducation citoyenne, de la nécessité vitale du quadruple programme de l’Afrique des libertés :

1) Retrait total des troupes néocolonialistes occidentales du sol africain ;

2) Suppression pure et simple de la monnaie néocoloniale française Franc CFA ;

3) Renversement de l’ensemble des régimes dictatoriaux du système mafieux françafricain responsables de la misère et de la violence de masse qui sévissent en Afrique dite francophone ;

4) Renaissance africanophone et spirituelle de l’Afrique sur les fondements de la métaphysique de la Mâât, tradition multimillénaire de la Vérité-Justice-Solidarité des peuples d’Afrique.

Enfin, quand vous me présentez comme un Professeur de philosophie qui pose près du putschiste Assimi Goita, n’oubliez ni Sartre et Simone de Beauvoir autrefois à Cuba ou à Moscou, ni Régis Debray au Chili. Ces illustres collègues, tant adulés en France, soutinrent les damnés de la Terre comme je le fais aujourd’hui. N’oubliez pas non plus que le général De Gaulle , Chef de la Résistance française, fut à la fois putschiste et rebelle contre le régime de Pétain et la France sous domination nazie, comme le Colonel Assimi Goïta, toutes proportions gardées, œuvre aujourd’hui pour la vraie indépendance du Mali du néocolonialisme français et occidental, en symbiose avec son peuple et l’écrasante majorité de l’opinion africaine continentale et mondiale.

Respectez ma liberté de pensée, d’expression, de conscience et de dissentiment, comme celles de toutes les africaines et africains du monde entier que vous vous évertuez à diaboliser parce qu’ils dénoncent la Françafrique.

Respectez les élites progressistes révolutionnaires africaines, respectez les intellectuels engagés pour l’émancipation africaines, si vous voulez préserver des chances d’un renouveau franco-africain, loin du racisme, du colonialisme, du néocolonialisme et de l’impérialisme qui dominent encore, hélas, en ce mois de mai 2022, la politique africaine de la France.

Respectez les aspirations légitimes des peuples africains, si vous voulez œuvrer pour l’émergence réelle d’un monde multipolaire, consensuel, partagé et commun, dans le respect mutuel des peuples et des personnes, et la préservation de notre maison de location commune, la planète vivante et agonisante qu’est la Terre.

Mesdames et Messieurs du journal français Marianne, puisse cette lettre servir de témoignage entre vous et moi pour l’Histoire, que vous vouliez bien la publier ou non sur vos colonnes. Elle formule toutefois l’espoir d’un journalisme moins biaisé sur l’Afrique des libertés dans vos colonnes.

Distinguées salutations.

Franklin Nyamsi Wa Kamerun

22 Mai , 2022