Les premières tentatives d’utilisation de la tradition orale en tant que sources historiques remontent au début du 20e siècle. A cette époque les historiens et les ethnographes se réfèrent avec méfiance à cette catégorie de sources pour la reconstitution du passé des peuples sans écriture, en mettant surtout l’accent sur sa crédibilité.

C’est aussi l’époque ou une frange d’historiens étrangers soutient que l’Afrique n’a pas d’histoire puisque selon leur conception seuls les peuples qui ont l’habitude de consigner leur passer par écrit en ont une. Pour ces historiens la non historicité de l’Afrique résulte de l’absence de sources écrites autochtones.

Ils n’entrevoient pas la possibilité d’utiliser la tradition orale comme source historique. Une question qui a longtemps suscité et suscite encore une sérieuse controverse.

La tradition orale est cette somme de connaissances sur le passé d’un peuple, consignées systématisées, dans la mémoire collective au fil du temps et transmises généralement de générations en générations. Dans les civilisations sans écriture, la parole qui est le vecteur des messages essentiels à la vie du groupe, revêt une importance perdue dans les sociétés dotées de l’écriture.

Elle peut à juste titre être utilisée comme source historique et les principales objections opposées à cette utilisation ne sont pas moins valables pour les sources écrites.

Parmi celles-ci on mentionne assez souvent le caractère officiel de la tradition orale. Les périodes de troubles et de changement de dynasties, y sont parfois volontairement omis. Au souverain régnant et à leurs ancêtres sont attribués des actes de bienveillance contrairement à leur opposants.

En un mot, on tant à gommer de la mémoire collective ce qui risque de nuire à la société, d’éliminer ce qui va à l’encontre des opinions et des intérêts d’une collectivité ou plutôt d’une classe dominante au préjudice de la vérité. Mais s’il est facile de falsifier la tradition orale il ne l’est pas moins de falsifier des sources écrites car tout discours ( oral ou écrit) reflète plus ou moins l’univers idéologique et les intérêts de son auteur. Il s’ exprime selon les idées que lui ont inculqué son groupe social, son éducation, son époque.

L’utilisation de la tradition orale en tant que source historique présente aussi souvent l’inconvénient de l’absence de chronologie sans laquelle il n’y a pas d’histoire puisqu’on ne peut distinguer ce qui précède à ce qui suit.

Or, la tradition orale donne toujours une chronologie relative exprimée en temps cyclique par liste de personnages ou de générations. Et quand le temps n’est pas mesuré strictement, il semble qu’il englobe et intègre l’humanité, aussi bien dans le passé que dans l’avenir.

Néanmoins cela n’est pas l’apanage de la tradition orale. Beaucoup de sources écrites anciennes manque de précision chronologique puisque le comput y est dressé à partir de la succession des règnes.

La conception du temps cyclique, répétitif, débouchant sur une spirale qui était propre aux périodes reculées de l’histoire s’est longtemps maintenue en Europe même après l’adoption des calendriers Julien et grégorien. Le processus évolutif du temps était à peine remarqué.

Enfin parmi les objections majeures qu’on opposa la civilisation orale comme source historique, figure l’impossibilité de mémoriser oralement des événements remontant à plus de 4 à 5 générations. Mais les recherches sur la psychologie historiques ont démontré l’aspect social de la mémoire dont les capacités varient en fonction des structures sociales.

La tradition orale en tant que source historique est donc assez semblable par ses vertus et ses faiblesses aux sources écrites bien qu’elle apparaisse comme plus fragile que le document écrit dans la mesure où il s’agit d’un objet figé l’objection suivante s’impose il peut y avoir plusieurs versions écrites d’un même événement de même qu’il y a des versions stéréotypées et figées dans la fidélité de la tradition orale.

Pour tirer partie au mieux de la tradition orale, il est nécessaire de l’utiliser en relation avec d’autres témoignages. Elle doit être mise en relation avec la structure socio-politique du peuple qui la détient, comparée avec les traditions des peuples voisins, confrontée aux indicateurs chronologiques, aux sources écrites et archéologiques.

De ce fait l’historien utilisant la tradition orale se trouve pratiquement dans les mêmes conditions que celui qui travaille avec des sources historiques de quelque nature que ce soit.

Ainsi et pour conclure, quand une tradition orale et bien éprouvée elle est comparable à une source écrite, si ce n’est que les données quantitatives de cette dernière sont plus sûres. En revanche la tradition orale est plus explicite et reflète mieux la psychologie sociale d’un peuple, les idées, le système de valeurs, la conception du monde d’une société à un moment donné de son histoire.

L’étude de la tradition orale a permis de sortir des grands pans du passé des peuples africains des ténèbres, elle a permis de comprendre que l’absence de l’écriture en tant qu’instrument mnémonique n’est pas une tare pour les civilisations africaines.  

«Le mot griot n’est pas né en «ex nihilo» il a son histoire en qualifiant l’acte du JELI qui récite les chroniques épiques,  les arabes l’ont appelé QAWWAL,  le récitant – les Portugais diront CRIARDO  qui s’exprime par des cris,  les Français l’appelleront GRIS GRIS,  ou griot,  être dangereux pour sa langue comparable à une lance enflammée-  les wolofs diront GAWLO, le mémorisant-  

Le griot» ou Jeli n’est pas un poète mais un historien traditionnelSi la langue du griot est poétique celui-ci ne créé pas pourtant selon son émotion ou sa sensibilité personnelle – il véhicule dans son style le patrimoine collectif , sans prise de position,  pour ne pas offusquer blessé la dignité des héritiers des héros disparus sauf si l’histoire le reconnaît. «

Source: p88, Abubakari II- Explorateur Mandingue, Gaoussou Diawara