L’émergence ne se mesure ni par un taux de croissance du PIB ou des exportations élevées sur une période longue plus d’une décennie ni par le fait que la société concernée ait atteint un niveau élevé de son PIB par par capital, comme le disent les économistes conventionnels.
L’émergence implique davantage : une croissance soutenue de la production industrielle et une montée en puissance dans la capacité de ses industries d’être compétitive à l’échelle mondiale encore faut-il préciser de quelle industrie il s’agit et ce qu’on entend par compétitivité.
Il faut exclure de l’examen les industries extractives -mines et combustibles -qui peuvent à elles seules, dans des pays bien dotés par la nature de ce point de vue, produire une croissance accélérée sans entraîner dans son sillage l’ensemble des activités productives dans le pays concerné. Il faut également comprendre la compétitivité des activités productives dans l’économie considérée comme celle du système productif pris dans son ensemble et non d’un certain nombre d’unités de production envisager par elle-même.
Par les biais de la délocalisation ou de la sous-traitance, des multinationales opérant dans les pays du Sud peuvent être à l’origine de la mise en place d’unités de production locale, filiale des transnationales autonomes capables en effet d’exporter sur le marché mondial, ce qui leur vaut la qualification de compétitif dans le langage de l’économie conventionnelle.
Ce concept tronqué de compétitivité procède d’une méthode empiriste du premier degré.
La compétitivité est celle du système productif point encore faut-il que celle-ci existe, c’est à dire que l’économie concernée soit constituée d’établissements productifs et de branches de la production suffisamment interdépendant pour qu’on puisse parler de ce système.
La compétitivité de celui-ci dépend alors des facteurs économiques et sociaux divers virgule entre autres des niveaux généraux d’éducation et de formation des travailleurs de tout grade comme de l’efficacité de l’ensemble des institutions qui gèrent la politique économique nationale fiscalité droit des affaires droit du travail crédit soutien public.
À son tour le système productif en question ne se réduit pas au seul industrie de transformation productive de biens manufacturés de production et de consommation mais la présence de celle-ci annule l’existence même d’un système productif digne de ce nom mais intègre la production alimentaire et agricole comme les services exigés pour le fonctionnement normal du système transport et crédit en particulier point un système productif réellement existant peut-être néanmoins plus ou moins avancé.
J’entends par là que l’ensemble des de ces activités industrielles doit être qualifié : s’agit-il de production banale ou de production technologique de pointe ? il est important de situer le pays émergent de ce point de vue dans quelle mesure est-il envoie de remonter dans l’échelle des valeurs produites ?
Le concept d’émergence implique donc une approche politique et holistique de la question. Un pays est émergent que dans la mesure où la logique mise en œuvre par le pouvoir s’assigne l’objectif de construire et de renforcer une économie autocentrée fut elle ouverte sur l’extérieur et d’affirmer par là même sa souveraineté économique nationale.
Cet objectif complexe implique alors que l’affirmation de cette souveraineté concerne tous les aspect de la vie économique. En particulier elle implique une politique qui permette de renforcer sa souveraineté alimentaire, comme également sa souveraineté dans le contrôle de ses ressources naturelles et l’accès à celle-ci hors de son territoire .
Ses objectifs, multiples et complémentaires font contrastes avec ceux d’un pouvoir compradore qui se contente d’ajuster le modèle de croissance mis en œuvre dans le pays concerné aux exigences du système mondial dominant libéral mondialisé et aux possibilités que celui-ci offre.
La définition de l’émergence proposée jusqu’ici ne dit rien concernant la perspective dans laquelle s’inscrit la stratégie politique de l’état et de la société concernée : capitalisme, où socialisme ?
Néanmoins cette question ne peut être évacuée du débat car le choix de cette perspective par les classes dirigeantes produit des effets majeurs positifs ou négatifs du point de vue du succès même de l’émergence.
Le rapport entre les politiques d’émergence d’une part et les transformations sociales qui l’accompagnent d’autre part ne dépend pas exclusivement de la cohérence interne des premières mais également du degré de leur complémentarité avec les secondes.
Les luttes sociales , luttes de classe et conflits politiques ne viennent pas s’ajuster à ce que produit la logique du déploiement du projet d’état d’émergence, elle constitue un déterminant de celui-ci. Les expériences en cours illustrent la diversité et les fluctuations de ces rapports.
L’émergence est souvent accompagnée d’une aggravation des inégalités encore faut-il préciser la nature exacte de celle-ci inégalités dont ses bénéficiaires sont une minorité infime ou une ou une forte minorité les classes moyennes qui se réalisent dans un cadre qui produit la paupérisation des majorités des travailleurs où qui au contraire s’accompagne d’une amélioration des conditions de vie de ceci quand bien même le taux de croissance de la rémunération du travail serait inférieur à celui des revenus des bénéficiaires du système.
Autrement dit les politiques mises en œuvre peuvent associer ou pas l’émergence et la paupérisation.
L’émergence ne constitue pas un statut définitif et figé qui qualifie le pays concerné elle est faîte d’étapes successives, les premières préparant avec succès les suivantes ou au contraire engageant dans l’impasse.
De la même manière le rapport entre l’économie émergente et l’économie mondiale est lui-même en transformation constante et s’inscrit dans des perspectives générales différentes, soit que celle-ci favorise le renforcement de la souveraineté ou au contraire l’affaiblisse, soit que celle-ci favorise le renforcement de la solidarité sociale dans la nation ou au contraire l’affaiblisse.
L’émergence n’est donc pas synonyme de croissance des exportations et montée en puissance du pays concerné. Car cette croissance des exportations s’articule sur celle du marché interne à préciser, populaire et des classes moyennes, et la première peut devenir un soutien ou un obstacle à la 2nde.
La croissance des exportations peut donc affaiblir où renforcer l’autonomie relative de l’économie émergente concernée dans ses rapports au système mondial.
On ne peut donc pas parler d’émergence en général, ni même de modèle chinois ,indien, coréen également en général.
On doit examiner concrètement pour chaque cas, les étapes successives de l’évolution émergente concernée identifier leurs points forts et leurs faiblesses analyser la dynamique du déploiement de leurs contradictions.
L’émergence est un projet politique et pas seulement économique la mesure de son succès est donc donnée par sa capacité à réduire les moyens par lequel les centres capitalistes dominants en place perpétuent leur domination en dépit des succès économiques des pays émergents mesures dans les termes de l’économie conventionnelle.
J’ai pour ma part, défini ses moyens en termes de contrôle par les puissances dominantes du développement technologique et de l’accès aux ressources naturelles du système financier et monétaire global des moyens d’information et virgule de la disposition d’armes de destructions massives.
Et j’ai soutenu la thèse de l’existence d’un impérialisme collectif de la triade États-Unis Europe Japon qui entend conserver par tous les moyens ses positions privilégiées dans la domination de la planète et interdit aux pays émergents de remettre en question cette domination point j’en ai conclu que l’ambition de ces pays émergents entre en conflit avec des objectifs stratégiques de la triade impérialiste, et que la mesure de la violence de ce conflit était donnée par le degré de radicalité des remises en cause par chacun par des par chacun des pays émergents des privilèges du centre énuméré plus haut.
L’économie de l’émergence n’est donc pas dissociable de la politique internationale des pays concernés. S’aligne t-il sur la coalition politico-militaire de la triade ? accepte t-il de ce fait les stratégies mises en œuvre par l’OTAN ou au contraire tente t il de les contrer ?
Émergence et lumpen- développement
Il n’y a pas d’émergence sans une politique d’état assis sur un bloc social confortable qui lui donne la légitimité, capable de mettre en œuvre avec cohérence un projet de construction d’un système productif national autocentré et d’en renforcer l’efficacité par des politiques systématiques assurant à la grande majorité des classes populaires la participation au bénéfice de la croissance.
Aux antipodes de l’évolution favorable que dessinerait un projet d’émergence authentique de cette qualité la soumission unilatérale aux exigences du déploiement du capitalisme mondialisé des monopoles généralisés ne produit que ce que j’appellerais » un lumpen développement. »
J’emprunte ici librement le vocable par lequel le regretté André Gunder Frank avait analysé une évolution analogue mais dans d’autres conditions de temps et de lieu.
Aujourd’hui le lumpen développement est le produit de la désintégration sociale accélérée associés au modèle de développement qui de ce fait ne mérite pas son nom imposé par les monopoles des centres impérialistes de société des périphéries qu’ils dominent.
Il se manifeste par la croissance vertigineuse des activités de survie la sphère dite informelle autrement dit par là paupérisation inhérente à la logique unilatérale de l’accumulation du capital.
On remarquera que je n’ai pas qualifié l’émergence « de capitalistes ou de socialiste »
Car l’émergence est un processus qui associe dans la complémentarité mais également la conflictualité des logiques de gestion capitaliste de l’économie et des logiques non capitaliste donc potentiellement socialiste de gestion de la société et de la politique.
Parmi ces expériences d’émergence certaines paraissent pleinement mériter la qualification parce qu’elles ne sont pas associées à des processus de lumpen développement ; il n’y a pas de paupérisation qui frappe les classes populaires mais au contraire une progression de leurs conditions de vie modeste ou plus affirmé. Deux de ces expériences sont visiblement intégralement capitalistes celles de la Corée et de Taïwan. Deux autres héritent du legs des aspirations des révolutions conduites au nom du socialisme la Chine et le Vietnam. Cuba pourrait intégrer ce groupe s’il parvient à maîtriser les contradictions qu’il traverse actuellement .
Mais on connaît d’autres cas d’émergence qui sont associés au déploiement de processus de lumpen développement d’une ampleur manifeste.
L’Inde en fournit le meilleur exemple.
Il y a bien ici des segments de la réalité qui correspondent à ce qu’exige et produit l’émergence.
Il y a une politique d’état qui favorise le renforcement d’un système productif industriel conséquent, il y a une expansion des capacités technologiques et de l’éducation, il y a une expansion des classes moyennes qui lui est associée, il y a une politique internationale capable d’autonomie sur l’échiquier mondial. Mais il y a également pour la grande majorité les 2/3 de la société paupérisation accélérée.
Nous avons donc affaire à un système hybride qui associe l’émergence et le lumpen développement.
On peut même mettre en relief le rapport de complémentarité entre ces deux phases de la réalité.
Je crois sans suggérer ici une généralisation abusive que tous les autres cas des pays considérés comme émergents appartiennent à cette famille hybride qu’il s’agisse du Brésil, de l’Afrique du Sud ou d’autres.
Mais il y a aussi et c’est le cas de beaucoup d’autres pays du Sud des situations dans lesquelles les éléments d’émergence ne se dessinent guère tandis que les processus de lumpen développement occupent à peu près seuls toute la scène de la réalité.
Les 3 pays considérés dans ce qui suit Turquie, Iran, Egypte font partis de ce groupe et c’est la raison pour laquelle je les qualifie de non- émergents, dont les projets d’une émergence possible ont avorté.
Source: l’implosion du capitalisme contemporain – automne du capitalisme ou printemps des peuples? editions delga, 2012 ( Page 50)