Note: Bien avant les théories révisionnistes du sociologue Français comme Pierre Bourdieu ( Rejet de l’exploitation marxiste, de la valeur-travail et en partie de l’aliénation , des sociologues comme Loïc Wacquant, disciple de Bourdieu, ont contribué à éloigner le marxisme de la sociologie, en développant une nouvelle sociologie avec des concepts comme l’habitus « pseudo-marxiste », etc., qui sont anti-révolutionnaires https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2014-2-page-147.htm ) sur l’ éducation et l’habitus, le militant communiste argentin écrivait deja sur l’éducation et la Lutte de classe en 1930 ! Avec une rigueur et un esprit tres synthétique il analyse l’ education dans le contexte de l ‘evolution du système capitaliste et ses rapports de classe afin que les éducateurs se transforment en agent de la transformation et ne soit pas fonctionnel . Il fut un homme de la IIIème Internationale. Un défenseur et promoteur de la stratégie politique de “classe contre classe”. Ponce disait que l’ “on est pas révolutionnaire, à moins qu’on le devienne” (1963 : 41). Et dans ce devenir il s’est constitué en un intellectuel marxiste organique du Parti Communiste Argentin. La stratégie se basait sur le diagnostic d’une crise finale du capitalisme, et par une critique radicale antibourgeoise et anti-impérialiste.

En 2017, 80 ans après la publication des conférences qui constituent le livre Educación y lucha de classes, les Ediciones Luxemburg en Argentine ont décidé de le rééditer avec un essai introductif dont l’objectif est d’analyser l’œuvre poncienne dans et depuis le XXIème siècle.

Quelques lignes sur Aníbal Ponce

Aníbal Norberto Ponce est né en 1898. Il est mort en 1938. Il a vécu 40 ans entre Dolores, Buenos Aires, et l’exil mexicain. Au cours de ces courtes années de vie, il a écrit autour de 3 mille pages[2]. Fils d’une professeure et d’un écrivain, il lisait et écrivait déjà à 4 ans. Il a intégré avec les honneurs le Colegio Nacional Central (actuellement Colegio Nacional de Buenos Aires). Il a commencé des études de médecine à l’Université de Buenos Aires qu’il abandonne pour se dédier à la psychologie et plus tard à la critique littéraire, jusqu’à devenir professeur. Il a appartenu à la première génération d’intellectuels latino-américains marxistes. Il a vécu le premier coup d’Etat en Argentine. Il a connu le fascisme européen. Il a pu voir les horreurs de la guerre civile espagnole. Et il a également vu l’“homme du futur”, comme il appelait l’URSS, où il sentit son âme se rénover, envahit par “l’impression de vivre dans un autre monde, de respirer une autre atmosphère, de fouler une autre terre” (Ponce, 2009).

Dans le contexte du premier coup d’Etat en Argentine de l’année 1930, qui instaura la première dictature militaire, il a subit la persécution politique pour être communiste. Dans ces années, Ponce était un intellectuel du Parti Communiste Argentin (PCA). Ses positions politiques, ses orientations idéologiques et ses actions militantes se sont développées dans la structure partidaire. “Il est devenu une figure qui a forgé une identité pour l’intellectualité communiste” (Camarero, 2007 : 265). En 1936, le gouvernement militaire l’a destitué de ses responsabilités, l’a expulsé de l’université pour “son rôle idéologique connu” et comme conséquence de cela, il s’est exilé au Mexique en 1937 où il meurt en 1938 dans un accident de la route ; il allait de Morelia à la capitale pour présenter un essai pour le 55ème anniversaire de la mort de Marx dans l’amphithéâtre de la Escuela Normal. Avant de s’exiler il a envoyé une lettre ouverte au ministre de la Justice et de l’Instruction Publique, dans laquelle il dit :

Bien que profondément argentin, je n’ai jamais écrit une ligne qui n’ait eu pour objet la libération des masses travailleuses de ma patrie : libération du latifundiste qui les exploitent, de l’industriel qui les saignent, de l’Eglise qui les endort, du politique qui les livrent pieds et poings liés aux “trusts” étrangers (Ponce, dans Agosti, 2974 : 112).

Sa vie s’est déroulée pendant la révolution russe et ses 20 années postérieures. Et également durant la création du Parti Communiste Argentin et ses 20 années postérieures. Il a aussi été un participant actif du mouvement de la Réforme Universitaire qui a éclaté à Córdoba en 1918. Selon les propres mots de Ponce, nous pouvons dire qu’il a porté avec lui la trace sociale de l’heure qu’il a vécu. Il n’est pas né marxiste. Il n’a eu aucun lien, dans son berceau et son enfance, avec Marx. Son admiration d’enfance et adolescente fut pour Sarmiento, et ses premiers pas d’intellectuel se firent sous la tutelle de José Ingenieros. Ce fut au Mexique, durant l’exil, qu’il “exécuta” ses pères intellectuels et les considéra comme des interprètes de la bourgeoisie. Ce fut là où il écrivit ses cinq derniers travaux, sentant les “masses indigènes” qu’il aurait déprécié quelques années auparavant ; thème qui fut interrompu et restera inachevé du fait de sa mort abrupte. Ponce a trouvé dans le marxisme “l’atmosphère indispensable à son intelligence” (Ponce, 1974 : 175). Et avec cette rencontre, il a rejeté ses anciennes idoles de la Génération de 80, il a compris que l’ennemi devait être combattu également dans ses structures théoriques, et il a insisté sur la dimension éthique et humaniste de la lutte révolutionnaire et du socialisme. Traducteur du “fantasme rouge” bolchevique, il a inscrit sa critique dans les limites de l’humanisme bourgeois en lui opposant l’horizon humaniste du marxisme et nous a offert, comme le note Kohan (2000), sa création conceptuelle et politique la plus originale : l’ “Homme nouveau”.

Ponce disait que l’ “on est pas révolutionnaire, à moins qu’on le devienne” (1963 : 41). Et dans ce devenir il s’est constitué en un intellectuel marxiste organique du Parti Communiste Argentin. A un moment de sa courte vie, il a changé l’objectif de son appareil photo pour se centrer sur la révolution et le socialisme. A partir du coup d’Etat de 1930 il devient un intellectuel combatif et engagé avec la classe opprimée et exploitée. Il est passé de l’héritage scientifique et positiviste de Ingenieros au marxisme “pleinement assumé comme explication et comme action” (Agosti, 1974 : 97). Agosti, son disciple, raconte qu’en juin 1930, Ponce fut invité par des étudiants du groupe étudiant Acción Reformista à la Faculté de Sciences Economiques de l’Université de Buenos Aires, où il a prononcé sa dissertation intitulée “Les devoirs de l’intelligence”. Ce jour là, affirme son disciple, il a manifesté pour la première fois de façon explicite son rapprochement avec le marxisme. Il a dit que le marxisme n’est pas “seulement l’instrument le plus parfait pour comprendre la société, mais également pour la transformer” (Ponce ,2009 : 123).

Il fut un homme de la IIIème Internationale[4]. Un défenseur et promoteur de la stratégie politique de “classe contre classe”. “Classe contre classe” fut “l’horizon clair et fort de sa plume” (Kohan, 2000 : 66) ; son marxisme fut “fortement teinté” (Agosti, 1974 : 97) par les influences de la IIIème internationale de l’époque. La stratégie se basait sur le diagnostic d’une crise finale du capitalisme, et par une critique radicale antibourgeoise et anti-impérialiste. On argumentait que dans ce contexte historique les bourgeoisies joueraient un rôle réactionnaire[5] ; la caractérisation du mouvement social-démocrate comme “social-fasciste” se diffusa, et celui-ci fut interprété comme l’ennemi principal du prolétariat révolutionnaire. La stratégie postulait : ou la dictature terroriste de la bourgeoisie, ou la dictature communiste du prolétariat. Bourgeoisie vs prolétariat. Classes contre classes. En ce qui concerne le terrain théorico-philosophique, l’Internationale Communiste mettait l’accent sur le matérialisme dialectique comme méthode et conception matérialiste du monde, et a fut considérée comme le fondement scientifique de la nécessité historique du socialisme (Sánchez Vázquez, 1990).

Au Mexique, ce fut l’enseignement qui devint sa mission. Il a travaillé dans le cursus de Psychologie de la Universidad Nacional ; celui d’Ethique à la Escuela Normal de Maestros ; celui de Sociologie à l’Universidad Obrera ; et celui de Dialectique dans l’Instituto del Profesorado Secundario. Il a également été conseiller idéologique pour les programmes scolaires du Ministère de l’Instruction. De plus, il écrivait une fois par semaine la page littéraire de El Nacional, et a été en relation avec la Liga de Escritores y Artistas Revolucionarios (LEAR), dont il fut nommé secrétaire. “Après quelques mois de repos forcé j’ai récupéré la joie du travail”, écrit-il dans une lettre à sa sœur quelques temps après avoir trouvé au Mexique sa nouvelle maison. La solitude de sa vie au Mexique a été très unie à la communauté cubaine également en exil. Nicolás Guillén –qu’il a aimé comme un frère, comme il le dit dans une lettre à sa sœur– et Juan Marinello ont été ses amis en exil. Au débuts de 1938, le secrétaire de l’Education lui confie la charge d’orienter les études à l’Université de Morelia et le désigne comme titulaire des cours de Sociologie et éthique, et Histoire de la philosophie. En février de cette année il déménage à Morelia, où il vécut jusqu’à son décès dans le malheureux accident.

A son époque, la révolution n’était pas un rêve éternel ; la préoccupation de Ponce fut de faire la révolution. Après la révolution russe, que son maître Ingenieros a salué avec enthousiasme, et avec le coup de 30, se produit son virage au marxisme ; l’unique sortie possible fut pour Ponce la révolution socialiste, démocratique et anti-impérialiste. Et ce fut cette façon de comprendre le monde –et sa nécessaire révolution– qui se manifesta dans son enseignement et son écriture.

Le livre  

Educación y lucha de clases[6] est un ensemble de conférences sur l’histoire de l’éducation que Aníbal Ponce a dicté au Colegio Libre de Estudios Superiores[7] en 1934, et qui ont été publiées comme livre en 1937. Ce fut un texte fondateur de la Pédagogie et de l’histoire de l’éducation marxiste en Argentine, qui a été très malmené dans la sphère scientifique éducative, pour ne pas dire dans celle des sciences sociales et humaines en général. L’œuvre poncienne a souffert d’un bâillonnement étourdissant et d’une déformation intentionnelle. Elle a été compartimentée ; oubliée et morcelée. Néanmoins, nous pensons que Ponce devrait être un bon ami, un bon enseignant et un bon camarade des éducateurs, militants et du peuple en général. Nous pensons qu’il est fondamental de penser, avec lui, le présent. Nous vivons dans un autre siècle, dans une époque différente de celle qu’il a connu et qu’il analysa, mais sa pensée reste actuelle pour la dénonciation et l’éclaircissement critique du monde dans lequel nous vivons.

Le livre est divisé en huit chapitres[8]. Aníbal Ponce nous invite à parcourir ses pages en réalisant un voyage passionnant, mais linéaire et européen, dans l’histoire de l’éducation qui part de l’analyse de l’éducation dans la communauté primitive, en passant par l’éducation de l’homme antique de Sparte, Athènes et Rome, et celle de l’homme féodal, jusqu’à arriver à l’éducation de l’homme bourgeois et la “nouvelles éducation” de l’homme prolétaire. Ainsi, notre auteur ordonne le livre en syntonie avec L’Origine de la famille, la propriété privée, et de l’Etat de Engels.

Après l’avoir lu et relu nous comprenons que l’objectif principal du livre est de décrire et d’analyser comment s’est formé le caractère de classe de l’éducation. Pour cela, il emprunte un trajet historique et analyse la fonction de l’éducation, l’idéal pédagogique, c’est-à-dire, quel type d’homme a tenté de former chaque classe dirigeante dans chaque société, dès lors que les sociétés se sont divisées en classes. Si nous parcourrons ses pages, il montre comment s’est produit la scission du processus éducatif ; comment, à un moment historique déterminé (lorsque les sociétés ont commencé à se diviser en classes), ont commencé à exister différentes éducations selon la classe sociale d’appartenance. Dans le livre, Ponce postule l’éducation comme un procédé de gestion des classes opprimées par les classes dominantes. “L’éducation est le procédé par lequel les classes dominantes préparent dans la mentalité et la conduite des enfants les conditions fondamentales de leur propre existence” (Ponce, 1975 : 174). Et il revendique que c’est seulement dans une société nouvelle, sans classes, qu’il est possible de penser et de créer une nouvelle éducation. Il réalise une profonde étude critique de l’histoire et de la réalité socio-éducative, pour ensuite invoquer la révolution comme la transformation radicale nécessaire. C’est, exprimé de façon synthétique, le contenu et la conclusion à laquelle il arrive dans l’œuvre.

Il explique que dans le “communisme de tribu”[9], une société dans laquelle les classes sociales n’existaient pas, l’éducation était une fonction spontanée de la société. Dans cette organisation communautaire, les enfants accompagnaient les adultes dans leurs travaux et c’était par l’assimilation spontanée de leur environnement, par la coexistence avec l’adulte même, que les enfants se construisaient dans les “moules” de leur groupe. “Dans les communautés primitives, l’enseignement était pour la vie et par la vie” (Ponce, 1975 : 11). Cependant, cette conception de l’éducation comme une fonction spontanée de la société par laquelle les enfants s’apparentent aux adultes a cessé d’exister dès lors que la communauté primitive s’est transformée en société divisée en classes, dans laquelle la propriété est devenue privée et où les liens de sang ont été remplacés par le pouvoir de l’homme sur l’homme. Lorsque les individus ont commencé à occuper différentes positions dans la production, comme cela est arrivé en Grèce et à Rome, il est devenu nécessaire de modifier les fins de l’éducation. L’idéal pédagogique a cessé d’être le même pour tous, et une éducation consacrée à la maîtrise spontanée de l’environnement pour les enfants est devenue impossible. D’une éducation homogène et intégrale, nous passons alors à une éducation systématique, organisée et inégale. La conception du monde comme une réalité magique, mystique et naturelle a été remplacée par une autre (dans laquelle existent des dieux dominants et des croyants soumis) qui reflétait l’idée de rang apparue dans la structure économique de la tribu. Cela est arrivé dès l’instant précis où est apparue la propriété privée, la société de classes, l’oppression des hommes et le pouvoir d’exploitation :

Au moment de l’histoire humaine où s’effectue la transformation de la société communiste primitive en une société divisée en classes, l’éducation a un problème qui lui est propre : lutter contre les traditions du communisme de tribu ; inculquer que les nouvelles classes dominantes n’ont pas d’autre finalité que d’assurer la vie des classes dominées, et surveiller de façon attentive le moindre soupçon de protestation pour l’extirper ou le corriger. L’idéal pédagogique, naturellement, ne peut plus être le même pour tous ; non seulement les classes dominantes en cultivent un très différent de celui des classes dominées, mais elles font aussi en sorte que la masse laborieuse accepte cette inégalité imposée par la nature des choses, et contre laquelle se rebeller serait une folie. (Ponce, 1975 : 28).

Avec l’avènement du capitalisme la bourgeoisie a reposé la totalité des problèmes, et parmi eux, le problème pédagogique. L’individualisme bourgeois et ses fondements, l’individu comme prémisse nécessaire et la liberté absolue pour embaucher, commercer, créer, penser, ont commencé à résonner dans l’éducation. L’instruction pour l’exploitation, résume en peu de mots ce qu’est l’éducation dans le capitalisme pour Ponce. Le capitalisme naissant eut besoin d’hommes qui sachent manier les machines que l’industrie ne cessait de créer et qui apprennent à penser, vouloir et agir au travers de la bourgeoisie. La nécessité d’instruire les masses en accord avec les nouvelles demandes techniques de la production capitaliste, a généré que la bourgeoisie ait peur que cette instruction permette la rébellion de celles-ci. Néanmoins, Ponce explique que la bourgeoisie a résolu la tension entre ses intérêts et ses craintes en imprégnant l’enseignement d’un esprit de classe ; l’instruction qu’elle offrait ne compromettait d’aucune façon l’exploitation de l’ouvrier, qui est la base même de l’existence du capitalisme. L’hypocrite idéologie éducative des classes dirigeantes consista (et consiste) à donner des “lumières” différentes et inégales selon l’appartenance de classe.

Ponce nous dit que ce fut cette hypocrisie qui amena à le blâmer pour les problèmes éducatifs, tels que le manque de scolarisation universelle, les programmes scolaires, les méthodes d’enseignement, et la rigidité des horaires. On a mis l’accent sur les inconvénients simplement pédagogiques et on a présenté comme nécessaire la réforme des programmes et des méthodes par une “nouvelle éducation”. Une nouvelle éducation qui, selon Ponce, avait une confiance absolue dans l’éducation comme moyen de transformation de la société. On proposait de construire l’homme nouveau à partir de l’école de la bourgeoisie. Aspiration absurde ; méconnaissance absolue de la réalité sociale, disait-il :

Dans toutes les leçons antérieures nous avons vu que l’éducation par une école rénovée apparaissait après que la classe sociale qui la réclamait ait affirmé dans ses grandes lignes ses intérêts et maintenait à distance, au moins, l’Etat ennemi… “Exiger” à l’Etat bourgeois –non pas au nom d’une classe ennemie qui dissimulerait un ultimatum dans une telle demande, mais au nom de la “culture” et de l’“esprit”– qu’il s’“autolimite” jusqu’à devenir un Etat culturel qui se retire ainsi de la gestion de l’enseignement, qui est l’un de ses instruments d’oppression les plus subtils, est d’une ingénuité qui en fait presque une épopée (Ponce, 1975 : 167-168).

Source: Semillasdel Sur, Cinthia Wanschelbaum , Professeure à l’Université Nacional de Luján (Argentine).